Mélanie Levy-Thiébaut : parler du sens profond des choses

Faire confiance à ce que l’on est

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Qui êtes-vous Mélanie ?

Mon histoire a commencé à Casablanca. Ça m’est tombé dessus un beau matin de ma sixième année au réveil, j’ai su que je voulais être cheffe d’orchestre. Il faut dire que ma mère, qui était compositrice, avait démonté le piano pour gratter dedans avec des fourchettes car c’était en pleine recherche avant-gardiste !

Ainsi, toute petite, je montais sur le tabouret pour faire la cheffe. Et quand j’étais la cheffe de bande, c’était pour partager et pour rigoler, pas pour commander.

J’étais un peu sauvage, mais j’ai compris que j’aimais être seule avec tous pour protéger les autres, comme un pilote d’avion avec ses passagers : une fois montés dans la cabine, ils n’ont pas d’autres choix que de faire confiance au pilote.

Arrivée en France à treize ans, j’ai combiné l’école et le conservatoire de musique. J’étais une bonne pianiste, j’ai fait du clavecin, de la basse continue, de la musique de chambre, mais j’avais toujours cette envie chevillée au corps d’être cheffe … et je suis tombée en admiration devant un chef espagnol qui m’a fait rentrer au Liceo à Barcelone pour y étudier la direction d’orchestre. Et une fois mon 1er prix à Madrid en poche - j’avais 24 ans - il m’a dit va-t’en.

J’ai alors construit ma propre cohérence à travers différents aspects de mon « métier » grâce à mon travail d’assistante auprès de plusieurs chefs d’orchestre : ce qui se passe derrière et dans l’orchestre, le rôle de l’orchestre dans le territoire, la promotion des spectacles, la mobilisation des musiciens et enfin le partage d’expérience.

Maintenant je suis vraiment moi-même dans mes différents rôles : cheffe en Mayenne, cheffe de mon propre orchestre, cheffe invitée ou encore cheffe « experte » quand on me demande en entreprise de parler de leadership. Je commence à savoir mettre des mots derrière mes sensations, pour les transmettre bien au-delà de la musique.

J’arrive joyeuse, heureuse, sans peur devant l’orchestre et pleine de questions : comment ça va aller physiquement ensemble, qu’est ce qui va rester au-delà de la première impression, qu’est ce qui va faire que les musiciens s’abandonnent ? Après la répétition ou le spectacle, quel bonheur si j’entends : « merci cheffe de ne vous être occupée que de nous ».

Quelle vision du monde vous anime aujourd’hui ?

Je crois en la jeunesse, dans la musique, dans l’art.

Je vois les jeunes avec leurs rêves. Parfois, ils nous dérangent mais ils ont raison quand-même.

C’est difficile mais ça va avancer. On utilise trop peu nos capacités à se relier au monde, à notre énergie, à notre potentiel. On devrait pouvoir se donner la main, se toucher, se faire confiance et ne plus être des moutons quand il y a de la gravité.

Oui, nous ne sommes pas des moutons. La culture, l’art, la musique nous forgent. Il faut s’en servir pour nous réveiller. Je me sens passeuse, messagère. Je ne suis pas créatrice…Mozart a tout écrit, mais je dis, je joue ce que je pense de ce que Mozart a écrit. Je donne des clés pour apprendre.

Je souhaite un monde dans lequel les femmes continuent d’avancer mais je ne rêve pas d’une société matriarcale. Cela m’inquiète un peu de voir que les hommes perdent un peu leur place ou s’obligent à travailler avec des femmes pour justifier d’un quota politiquement correct. Les hommes sont merveilleux quand ils sont vraiment eux-mêmes et qu’ils laissent éclore leur part de féminité tout en étant Homme.

Quels sont vos rêves ?

Je veux rester en vie jusqu’à 120 ans si je n’ai pas d’épreuve trop dure à passer. Je veux dépasser les rythmes biologiques, ça se travaille. Je pratique les arts martiaux et à 50 ans j’ai senti que j’avais changé de dimension en énergie.

Je veux aussi me connaitre de mieux en mieux, me sentir en adéquation avec ce que je vis, toujours me trouver au bon endroit au bon moment.

Je veux ressentir les choses autrement qu’on les apprend, de manière spirituelle, connectée à l’univers. Je veux vivre en état de conscience totale, avoir des illuminations tout le temps. C’est surtout là-dessus que je travaille : comprendre, voir, sentir, respirer. Je m’inspire d’expériences telles que celle de Gerard de Nerval qui a traduit des livres écrits dans des langues qu’il ne connaissait pas.

 

Quel sens voulez-vous donner à votre aventure dans les prochaines années ?

Je voudrais parler du sens profond des choses, de spiritualité, d’art, de musique, de présence, d’existence, de connexion au-delà de nous-mêmes.

En matière d’art, ce serait de passer du contrôle de l’art au contrôle de soi, faire confiance à ce que l’on sait et à ce que l’on est.

Quel est votre grand projet ?

J’ai beaucoup de projets : aller plus à l’étranger, permettre aux musiciens des différents orchestres que je dirige d’échanger leur place, rencontrer des orchestres différents….

« Le » projet, c’est montrer que je peux me transformer, transformer, accompagner les mutations du monde et transmettre ces repères-là à mes enfants… et surtout continuer à diriger de beaux orchestres.